Le contrôle biologique des plantes invasives, qu’est ce que c’est ?

Définition, un peu d’Histoire et quelques exemples.

Vincent Lesieur
02-22-2021

Introduction

Les espèces végétales exotiques envahissantes (EEE et plus communément appelées ‘espèces invasives’) constituent une menace pour la biodiversité indigène et participent à la dégradation des écosystèmes. Leur impact n’est pas limité aux écosystèmes, elles affectent la santé humaine (par exemple l’ambroisie et son pollen allergène) et entraînent d’importantes pertes économiques en raison des coûts liés à leur gestion et à la réduction des rendements agricoles.

Les méthodes conventionnelles de gestion (contrôles mécaniques et chimiques) de ces invasives sont souvent considérées comme inefficaces pour la lutte à long terme. Ces méthodes sont souvent très couteuses et nécessitent des investissements permanents. Elles sont aussi particulièrement difficiles à appliquer dans les zones éloignées et/ou protégées. Enfin, les herbicides chimiques font actuellement l’objet d’un débat vigoureux compte tenu de leurs effets nocifs sur l’environnement et la santé humaine.

L’une des raisons du succès invasif de certaines plantes est le manque d’ennemis permettant une régulation naturelle des populations de cette plante dans la zone envahie. Les insectes, champignons, etc. naturellement présents sont très souvent peu efficaces car mal-adaptés à la plante nouvellement introduite dans le milieu. Ainsi, le contrôle biologique classique, ou par acclimatation, vise à récréer un équilibre entre plante introduite et ennemis naturels.

Définition

Le contrôle biologique consiste à introduire un auxiliaire, c’est-à-dire un agent de contrôle biologique, pouvant être un insecte, un acarien, un champignon phytopathogène, etc., dans un milieu colonisé par la plante invasive. Le but est qu’il s’y établisse de manière permanente et qu’il y assure une régulation durable des populations de l’espèce nuisible. L’auxiliaire introduit doit être spécifique à la plante cible, c’est-à-dire ne se développer que sur la plante invasive que l’on veut contrôler. Il provient de la même aire d’origine que la plante (Figure 1).

Representation schematique d'un projet de controle biologique

Figure 1: Representation schematique d’un projet de controle biologique

Cette méthode est utilisée pour le contrôle des plantes invasives mais aussi pour le contrôle de toute autre espèce nuisible, notamment les insectes ravageurs. Elle ne vise pas l’éradication mais le contrôle de la plante sous un seuil acceptable (d’un point de vue écologique et/ou économique) (Figure 2).

 Modèle généralisé de contrôle biologique des plantes envahissantes adapté de @luck1995contributions

Figure 2: Modèle généralisé de contrôle biologique des plantes envahissantes adapté de Luck, Tauber, and Tauber (1995)

Le premier cas documenté de contrôle biologique d’une espèce de plante invasive remonte à 1836, lorsque la cochenille Dactylopius ceylonicus (Figure 3), originaire du Brésil et introduite accidentellement en Inde pour la production de teinture, a été intentionnellement déplacé du nord au sud de l’Inde puis de l’Inde au Sri Lanka en 1865 pour contrôler le cactus « raquette », Opuntia monacantha (Cactaceae) (Schwarzländer et al. (2018)).

A. Dactylopius sp. sur leur plante hôte. Photo: Frank Vincentz. B. Promotion du contrôle biologique contre les cactus Opuntia dans les années 1930 (Australie). Photo: State of Queensland, Department of Agriculture and Fisheries

Figure 3: A. Dactylopius sp. sur leur plante hôte. Photo: Frank Vincentz. B. Promotion du contrôle biologique contre les cactus Opuntia dans les années 1930 (Australie). Photo: State of Queensland, Department of Agriculture and Fisheries

Cette méthode a depuis été utilisée à de nombreuses reprises et pour le contrôle de différentes espèces invasives, aussi bien des cactus, des composées ou encore des légumineuses de la famille des fabacées. C’est surtout en Australie, en Amérique du Nord (USA et Canada) et en Afrique du Sud qu’elle a été le plus déployée. Cette méthode de gestion des plantes invasives peut être employée pour le contrôle des plantes terrestres mais aussi des plantes aquatiques. Voyons un peu de plus près ce qu’est le contrôle biologique à l’aide de quelques exemples.

La Vipérine faux-plantain en Australie : retour sur investissement

Dans les années 70, Echium plantagineum, la Vipérine faux-plantain – Paterson’s curse – originaire d’Europe, était considérée comme la plante invasive la plus répandue en Australie (distribuée sur plus de 10 millions d’hectares) (Figure 4A.). Cette plante à la fleur violette envahissait les pâturages et les cultures de l’Australie (principalement les états de Victoria, Queensland ou encore en Nouvelle-Galle du Sud). Outre cette invasion sur de vastes surfaces, cette boraginacée peut être toxique car elle contient des alcaloïdes qui provoquent des lésions hépatiques chroniques et la mort du bétail si des quantités importantes de feuillage sont consommées sur des périodes prolongées. Avant la mise en place du programme de contrôle biologique, les gestions chimique et mécanique se sont avérées inefficaces. Le coût annuel lié aux mesures de contrôle et de perte de production étaient évaluées à plus de $40 millions.

 A. Infestation d’Echium plantagineum en Australie Occidentale. B. Le charançon Mogulones larvatus dont les larves se développent dans les jeunes plants. Photo : www.agric.wa.gov.au

Figure 4: A. Infestation d’Echium plantagineum en Australie Occidentale. B. Le charançon Mogulones larvatus dont les larves se développent dans les jeunes plants. Photo : www.agric.wa.gov.au

Des prospections, menées en France, ont identifiés plusieurs insectes prometteurs pour le contrôle biologique de cette plante. Ainsi, sept espèces ont été relâchées en Australie après des années d’évaluations drastiques en laboratoire et sur le terrain (ces étapes d’évaluation et de sélection d’agents seront abordées lors de prochains posts). Deux charançons (Mogulones larvatus et M. geographicus, Figure 4B.) et une altise (Longitarsus echii), pouvant notamment “tuer” la plante avant floraison, ont permis de contrôler de manière significative les populations australiennes d’Echium (Sheppard and Smyth (2012)).

De nombreux autres exemples auraient pu être cités. Le choix du contrôle biologique d’Echium en Australie se justifie par l’évaluation réalisée de l’impact économique de ce programme. En effet, cette évaluation a montré que, pour un investissement en recherche et développement de $23,1 millions, les bénéfices nets apportés par ce programme via la réduction importante des populations d’Echium par les agents de contrôle biologique relachés ont déjà atteint $1,2 milliard, soit un rapport coûts:bénéfices de 1:52 (Page and Lacey (2006)).

1ere success story mondiale concernant les plantes aquatiques

Alternanthera philoxeroides, Herbe à alligator (Alligator weed, en anglais) est originaire d’Amérique du Sud. Cette plante a été introduite accidentellement mais aussi délibérément pour l’aquariophilie et l’ornement des bassins dans différents points du globe (Australie, Nouvelle Zélande, USA, Asie du Sud-Est, etc.). Dans les milieux envahis, A. philoxeroides peut former des populations très denses, excluant souvent les autres plantes et impactant la structure des communautés locales d’invertébrés. La plante est difficile à contrôler avec des herbicides et peu d’entre eux sont approuvés pour une utilisation dans les cours d’eau. De même, le contrôle mécanique (e.g. arrachage) est fastidieux et loin d’être efficace car il peut être à l’origine de nouvelles infestations à partir des petits fragments produits.

Les premières recherches d’agents de lutte biologique ont été menées dans les années 60. Parmi les espèces d’arthropodes collectées sur la plante en Amérique du Sud, trois espèces d’insectes ont été relâchées aux USA, en Australie, Nouvelle-Zélande, Chine et Thaïlande. Si le contrôle n’est pas parfait, deux insectes, une chrysomèle (Agasicles hygrophila, (Figure 5A.) et une pyrale (Arcola malloi), se montrent particulièrement efficaces pour contrôler les tapis formés par la plante dans les lacs et les étangs (Figure 5B et C.) notamment dans les régions les plus chaudes (Julien et al. (2012)).

 La chrysomèle Agasicles hygrophila dont les larves comme les adultes se nourrissent du feuillage. Photo : Graham Montgomery. B et C. Infestation d'alligator weed, River Georges (banlieue de Sydney, Australie) en Mars 1978 avant (B.) et Juillet 1979 après (C.) l'introduction de la chrysomèle. Photos : Mic Julien.

Figure 5: La chrysomèle Agasicles hygrophila dont les larves comme les adultes se nourrissent du feuillage. Photo : Graham Montgomery. B et C. Infestation d’alligator weed, River Georges (banlieue de Sydney, Australie) en Mars 1978 avant (B.) et Juillet 1979 après (C.) l’introduction de la chrysomèle. Photos : Mic Julien.

D’autres programmes de contrôle biologique de plantes aquatiques ont connu un succès incroyable comme le contrôle de Salvinia molesta (Salvinie géante) en Australie, Afrique du Sud et USA, celui d’Azolla filiculoides (Azolle fausse-fougère) en Afrique du Sud, ou encore, Eichhornia crassipes (Jacinthe d’eau) dans différents pays d’Afrique, au Mexique, etc. Ces programmes ont facilité le retour de la biodiversité aquatique indigène et la restauration de l’écosystème.

Carduus nutans et Rhinocyllus conicus aux USA : des enseignements à tirer

Carduus nutans, un chardon originaire d’Eurasie, a été introduit accidentellement aux États-Unis à la fin du 19e siècle. Ce chardon envahit les sites perturbés comme les champs cultivés, le bord des routes, les jachères, ou encore les pâturages (Figure 6). Les fortes infestations (jusqu’à 150 000 plants par hectare) réduisent la productivité des pâturages et des cultures. De même, les infestations des prairies naturelles excluent les espèces de plantes indigènes, perturbant ainsi le bon fonctionnement de ces écosystèmes.

Un charançon Rhinocyllus conicus, dont les larves se développent dans les capitules en consommant les graines (Figure 6), a été introduit au Canada et aux États-Unis à la fin des années 1960. Si le charançon a permis de réduire les populations de C. nutans, il a en revanche été observé, depuis son introduction sur plusieurs espèces de chardons nord-américains. Il est même associée au déclin local des populations du chardon endémique nord-américain, Cirsium canescens. Le développement larvaire et la consommation des graines diminue drastiquement le nombre de graines viables (Figure 6C.) réduisant ainsi la régénération naturelle des populations de C. canescens. On parle ici d’effet non-intentionnel.

 A. Le charançon Rhinocyllus conicus dont les larves comme les adultes se nourrissent aux dépens des graines. Photo : Whitney Cranshaw. B. Infestation de Carduus nutans dans le Wisconsin (USA). Photo : Merel Black. C. Capitule de Cirsium canescens attaqué par le charançon. Photo : Svata Louda.

Figure 6: A. Le charançon Rhinocyllus conicus dont les larves comme les adultes se nourrissent aux dépens des graines. Photo : Whitney Cranshaw. B. Infestation de Carduus nutans dans le Wisconsin (USA). Photo : Merel Black. C. Capitule de Cirsium canescens attaqué par le charançon. Photo : Svata Louda.

Ce programme a servi de “système modèle” permettant de redéfinir l’éthique et la manière dont est évalué le risque pour les programmes de contrôle biologique ultérieurs. Cependant, il est important de noter que les dégâts “collatéraux” liés à l’introduction du charançon étaient prévisibles par une évaluation plus rigoureuse de sa spécificité (thématique abordée dans un prochain post) et l’introduction de ce charançon ne serait aujourd’hui plus autorisée. En effet, les lâchers de charançons ont débuté alors même que les tests indiquaient que la gamme d’hôtes du charançon comprenait les espèces de chardons nord-américaines. Cependant, ces mêmes tests montraient que le charançon ne posait aucun risque pour les plantes cultivées. Dans les années 1960, cette menace pour les espèces indigènes n’était pas considérée comme suffisante pour annuler le bénéfice potentiel d’un programme de contrôle biologique.

Le mot de la fin

Vous l’aurez compris la méthode n’est pas sans risque. La recherche concernant les phases de sélection des potentiels agents de contrôle biologique et d’évaluation des risques sont donc essentielles pour prévenir toute mauvaise surprise. Ces phases importantes dans un programme de contrôle biologique feront l’objet de différents posts à venir.

Prochain post

Et en France alors, qu’est-ce qu’il en est ? Qu’est-ce qu’on en pense ? Ce sera l’objet du prochain post:

-> Connaissances et perception du contrôle biologique contre les plantes invasives en France

Julien, Mic, Alejandro Sosa, Richard Chan, Shon Schooler, and Guadalupe Traversa. 2012. “Alternanthera Philoxeroides (Martius) Grisebach-Alligator Weed.” Biological Control of Weeds in Australia. Melbourne, Australia: CSIRO Publishing, 43–51.

Luck, RF, MJ Tauber, and CA Tauber. 1995. “The Contributions of Biological Control to Population and Evolutionary Ecology.” Biological Control in the Western United States. Publication 3361: 25–45.

Page, AR, and KL Lacey. 2006. Economic Impact Assessment of Australian Weed Biological Control. CRC for Australian weed management.

Schwarzländer, M, Hariet L Hinz, RL Winston, and MD Day. 2018. “Biological Control of Weeds: An Analysis of Introductions, Rates of Establishment and Estimates of Success, Worldwide.” BioControl 63 (3): 319–31.

Sheppard, Andy W, and Matthew Smyth. 2012. “Echium Plantagineum L.–Paterson’s Curse.” Biological Control of Weeds in Australia, 211–26.

References

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Lesieur (2021, Feb. 22). Controle Bio des Plantes Invasives: Le contrôle biologique des plantes invasives, qu'est ce que c'est ?. Retrieved from http://www.controle-bio-plantes-invasives.fr/posts/2021-02-22-le-controle-biologique-des-plantes-invasives-quest-ce-que-cest/

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